La taxe Caïman 2.1 selon le projet de loi-programme belge 2023


La taxe dite Caïman, par allusion aux Iles du même nom, paradis fiscal bien connu, a été créée en 2015 à l’initiative du ministre des Finances (NVA) Van Overtveldt. Elle voulait s’attaquer à deux phénomènes d’évasion fiscale par création de structures étrangères licites mais qui permettaient d’échapper à l’impôt des personnes physiques.

La première remonte au Moyen-Age. Le trust était un acte par lequel le chevalier, partant pour la croisade, mettait entre les mains d’un trustee ses biens, pour lui-même et, le cas échéant, s’il ne revenait pas, pour des bénéficiaires qui étaient sa femme et ses enfants. Le patrimoine ainsi séparé de celui du « settlor » ou constituant du trust échappait à l’impôt sur le revenu et aux droits de succession dès lors que le trust était constitué dans une juridiction appropriée comme le Liechtenstein. En revanche, dans les pays anglo-saxons, cette construction était normalement taxée et fréquemment utilisée. Le deuxième phénomène était la création des sociétés dans des paradis fiscaux où l’impôt était nul ou faible.

La loi introduisit ainsi la notion de construction juridique. La construction juridique pouvait être en premier lieu une relation juridique créée généralement par un acte du fondateur par lequel des biens étaient placés sous le contrôle d’un administrateur dans l’intérêt de bénéficiaires, c’est-à-dire un trust. En second lieu était visée toute société ou entité dotée de la personnalité juridique et soumise à un impôt inférieur à 15 % d’un revenu déterminé selon les règles belges. Étaient exceptées les entités établies dans l’Espace économique européen à propos desquelles il fut établi ultérieurement par arrêté royal qu’elles devaient toutefois être soumises à un impôt égal à au moins 1 % de leurs revenus déterminés à nouveau selon les règles belges. Un troisième type de construction juridique fut ajouté ultérieurement, à savoir un contrat d’assurance lié à une construction juridique.

Une importante exception avait été prévue : les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et les organismes de placement collectif alternatifs (OPCA) publics ou institutionnels étaient exceptés par dérogation.

Toutefois, cette dérogation ne s’appliquait pas si les droits dans l’organisme étaient détenus par une personne ou des personnes liées, à savoir des personnes mariées, cohabitants légaux ou habitant à la même adresse, les personnes d’une même famille, parents ou alliés jusqu’au quatrième degré et des personnes, physiques ou morales, exerçant le contrôle sur l’organisme. Les constructions en chaîne étaient également visées.

Transparence fiscale

Cette législation, décrite à l’origine comme la taxe Caïman 1.0, fut modifiée en 2017 et appelée depuis la taxe Caïman 2.0, prévoyait une transparence fiscale : les revenus perçus par la construction juridique étaient imposables chez le fondateur comme s’il les avait recueillis directement. Etaient ainsi visés principalement les dividendes et les intérêts de placements.

Échappaient à la règle les constructions ayant la personnalité juridique établies dans un Etat ayant conclu une convention fiscale avec la Belgique et exerçant une activité économique effective autre que la gestion du patrimoine privé du fondateur et disposant de locaux, de personnel et d’équipement en rapport avec cette activité.

Dividendes

Par ailleurs, les distributions de la construction juridique étaient considérées comme des dividendes. Si la construction était une société, cela résultait du régime commun considérant comme dividendes la partie du produit de liquidation ou de rachat d’actions dépassant le capital réellement libéré se rapportant à l’opération. Toujours en vertu d’une règle générale, les revenus provenant de boni de liquidation ou de rachat d’actions par une société d’investissement bénéficiant dans son pays d’un régime fiscal exorbitant du droit commun n’étaient pas considérés comme des revenus mobiliers donc comme des dividendes. En ce qui concerne les constructions de type trust, leurs distributions étaient également considérées comme des dividendes sauf dans la mesure où elles pouvaient s’imputer sur la mise initiale apportée par le fondateur.

Ne constituaient pas davantage des revenus mobiliers les revenus qui étaient attribués par une construction juridique mais avaient déjà subi leur régime d’imposition en Belgique dans le chef du fondateur, c’est-à-dire, selon l’administration, la taxation par transparence des dividendes et intérêts essentiellement. Le projet de loi-programme déposé par le gouvernement belge apporte à ce régime plusieurs modifications.

SICAV familiale

Comme on l’a vu, dès l’origine, la taxe contenait une disposition « antifamiliale » prévoyant que les organismes de placement collectif détenus par des personnes apparentées ne seraient pas exceptés de l’application de la taxe Caïman. Dès juin 2023, la presse faisant écho à un rapport de la Cour des Comptes stigmatisant les cas de simulation où une SICAV familiale était détenue par une famille et quelques hommes de paille détenant un nombre insignifiant d’actions, annonçait l’intention du gouvernement de remédier à cette situation. Les praticiens s’attendaient à une réglementation qui imposerait par exemple une participation de tiers à la famille de 10 %. Le projet va beaucoup plus loin et impose une participation de tiers de 50 %. Il introduit ainsi une discrimination renforcée, sans doute inconstitutionnelle, parce que contraire à l’égalité des citoyens devant la loi, entre des personnes apparentées et d’autres, liées par exemple par des relations d’amitié ou de travail, qui créeraient une SICAV. Les SICAV familiales, comme d’ailleurs les sociétés holding familiales, sont fréquentes dans la pratique. Ces SICAV n’ont d’autres solutions que de racheter leurs parts à leurs actionnaires résidents belges avant le 31 décembre 2023, et éventuellement de se dissoudre, ce qui est sans doute le but visé par le projet. De plus, une présomption tirée de l’existence de personnes liées s’appliquera lorsque le gestionnaire d’actifs reçoit des instructions spécifiques des actionnaires d’un compartiment.

Constructions intermédiaires

Pour l’existence de constructions en chaîne, il sera désormais prévu que l’entité intermédiaire peut être non seulement une construction juridique mais même une société ou entité quelconque, possédant la personnalité juridique. Le Conseil d’Etat s’est demandé si cette disposition n’était pas susceptible de créer une double imposition. En effet, le revenu de la construction intermédiaire pourrait être imposé tant dans le chef du fondateur de la construction juridique ultime que dans le chef de la construction intermédiaire si celle-ci est par exemple une société recevant des distributions de la construction juridique. Le gouvernement a modifié une disposition prévoyant que les revenus attribués ou mis en paiement par une entité considérée comme une construction juridique ou une construction intermédiaire pendant l’une des trois périodes imposables écoulées ne constitueraient pas des revenus mobiliers s’ils avaient déjà subi leur régime d’imposition en Belgique dans le chef du fondateur. Contrairement à ce qu’a répondu le délégué du gouvernement à la question du Conseil d’Etat, cette disposition n’est pas susceptible d’exclure la plupart des cas de double imposition. Si une société qui est une construction intermédiaire reçoit un paiement d’une SICAV qui est une construction juridique et le redistribue à son fondateur, celui-ci aura été taxé une première fois par transparence et devra l’être une seconde fois sur la perception d’un dividende provenant d’une société.

Activité économique d’une construction juridique

L’exercice d’une activité économique fait l’objet d’une définition plus restrictive : non seulement, elle ne peut pas constituer l’exercice de la gestion du patrimoine du fondateur mais encore elle doit inclure l’offre de biens ou services à un marché déterminé.

Exit tax

Il était déjà prévu que les bénéfices non distribués d’une construction juridique étaient censés être mis en paiement au fondateur lorsque les droits économiques, les actions ou les actifs d’une telle construction faisaient l’objet d’un apport ou d’un transfert dans un Etat n’ayant pas conclu de convention fiscale avec la Belgique. Le texte est modifié pour inclure le transfert de résidence du fondateur à l’étranger, introduisant ainsi pour la première fois en Belgique une « exit tax » sur des éléments patrimoniaux lors d’une émigration.

Définition du fondateur

Le fondateur était déjà défini soit comme la personne physique ayant constitué une construction juridique, soit y ayant apporté des biens et droits ou encore ayant hérité des personnes précédentes ou étant destinée à en hériter sauf à établir qu’ils ne pourront, ni eux-mêmes, ni leurs successibles, bénéficier d’un avantage octroyé par la construction juridique. Le projet ajoute que les personnes indiquées dans le registre UBO comme bénéficiaires de la construction juridique seront présumées être ses fondateurs, sauf preuve contraire.

Déclaration

L’obligation de déclaration des constructions juridiques est également étendue par l’obligation d’identifier la construction juridique, son administrateur et ses revenus ainsi que son patrimoine.

Revenus supplémentaires taxables

Si les revenus ayant subi la taxe Caïman sont censés avoir subi leur régime d’imposition en Belgique et ne plus être taxés comme dividendes lors de leur distribution, il n’en sera toutefois plus ainsi pour les revenus qui tombent en dehors du champ d’application de l’impôt, par exemple les plus-values privées, ou les revenus qui sont exonérés en vertu du Code ou d’une convention fiscale. La disposition crée une discrimination entre ceux qui détiennent un portefeuille directement et ceux qui le détiennent à travers une construction juridique.

Entrée en vigueur

La loi devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2024.

¹  CIT92, art. 2, § 1, 13°.
²  CIT92, art. 2, § 1, 13°/1.
³  CIT92, art. 2, § 1, 13°/2, 3 and 4.
4 CIT92, art. 5/1, § 1.
5 CIT92, art. 5/1, § 3, b).
6 CIT92, art. 18, 1°, 2° and 2°ter.
7 CIT92, art. 21, § 1, 2°.
8 CIT92, art. 18, § 1, 3°.
9 CIT92, art. 21, § 1, 12°.
10 Doc. Chamber 55/3697/001 of 23 November 2023.
11CIT92, art. 21, § 1, 12°.
12CIT92, art. 5/1, § 2.
13CIT92, art. 2, § 1, 14°.